Ce monsieur, je l’appelle assurément monsieur, est un voisin de longue date, vivotant de petits boulots, avec un passé olé-olé (et alors?), sans demander son reste à personne, il est réglé comme une horloge depuis qu’il a cessé de boire une goutte d’alcool, parfaitement poli – c’est-à-dire non envahissant – avec quiconque, et je l’ai surpris, plusieurs fois, à offrir du chocolat à des serveuses, parce qu’il est vieux garçon et c’est sa manière d’essayer encore. Ce monsieur, je l’apprécie depuis longtemps, simplement à se croiser, se saluer et se donner des nouvelles, quelques paroles de reconnaissance, au moins. Ce concitoyen idéal, peu s’en soucient, parmi les grands décideurs des plans de santé pidémiques. Ce monsieur est pourtant innombrable. Il a parfaitement raison d’affirmer: « Ça vient une dictature ». Ce concitoyen idéal est parmi ceux qui ressentent le mieux ce changement qui, à lui comme à ses semblables, n’a rien à apporter, va leur faire plier l’échine, les pousser à disparaître plus rapidement qu’on n’imagine, les faire mourir, même, sous l’effet de ce qu’ils perçoivent, à juste titre, comme une dictature. C’est une dictature, non pas au sens strict, bien sûr, mais pour eux à tout le moins: une dictée avec des mots, des accents, des tournures et des actions qui les broient, les broieront sans pitié, ils en subissent les effets immédiats, qui se ressentent dans les pulsations d’une société qui les oublie et les rejette, enlacée à ses sentiments pourris depuis l’ombilic jusqu’au nimbe, claquemurée dans ses réserves immondes, sans aucune pensée pour eux, satisfaite de mettre en œuvre l’effet papillon de cette dictature impure, en agneau sacrificiel d’une mise en coupe pure avec le meurtre symbolique à la clé de la refondation: jolie histoire écrite avec des mensonges. Société d’individus incapables de ressentir la moindre empathie, n’étant pas nés encore, avant que la dictature n’advienne, et alors… Individus insensibles à tout, sauf à leur rassurante, présumée dénombrable, réplicabilité.
Chapeau, monsieur.
Votre silence est une grammaire.
Vos demi-mots valent tous les journaux.
Votre pudeur de réprimé parle à la place des éditorialistes dominants.
Vous n’êtes pas une casserole.
Jean-Christophe Emmenegger